Sida: les traitements efficaces empêchent-ils la transmission du VIH?

Publié le par Christophe M

Le Pr Bernard Hirscheld, qui exerce en Suisse, est un spécialiste reconnu dans le domaine du VIH. Ses dernières déclarations ne lui ont pourtant pas valu que des louanges. Depuis plusieurs semaines, il affirme, études à l'appui, que les séropositifs hétérosexuels sous traitement efficace depuis plus de six mois et n'ayant pas de d'autre infection sexuellement transmissible ne peuvent pas transmettre le VIH à leurs partenaires sexuels. Cette affirmation a évidemment fait l'effet d'une bombe puisque le Pr Hirscheld dit que dans ce cadre l'abandon du préservatif est envisageable.
Dans le contexte de lassitude et de hausse des rapports non protégés, ses observations en ont irrité plus d'un, à commencer par le Conseil national du sida et Act Up-Paris.
Mais ce discours sur l'absence de transmission en cas de traitement efficace n'est pas nouveau.
Je me souviens que dès l'apparition des trithérapies, en 1996-1997, les épidémiologistes de l'Institut de veille sanitaire évoquaient l'impact positif sur la baisse des transmissions, au niveau collectif. Il était encore trop tôt pour aller vers des recommandations plus personnalisées. Dix ans après, nous y sommes. Parce que nous connaissons mieux le virus, la dynamique de l'épidémie et les traitements. Ces derniers, de plus en plus puissants, permettent de réduire de façon très importante la charge virale, au point de la rendre indétectable dans le sang.
Les chercheurs suisses se sont basés sur leur propre suivi de couples sérodiscordants, tous hétérosexuels, ainsi que sur plusieurs études, avant d'affirmer qu'il était impossible de transmettre le VIH dans un couple sérodiscordant hétérosexuel, quand on est sous traitement puissant.
Dès lors, deux camps s'affrontent. Il y a ceux, Act Up-Paris, le Conseil national du sida, qui demandent de prendre les déclarations suisses avec des pincettes. D'autres, comme Warning, se jettent sur cette information pour affirmer que les Suisses disent tout haut ce qu'ils pensent tout bas depuis longtemps. C'est leur côté X Files (très années 90 donc). Comme si l'abandon du préservatif était une fin en soi et comme si le port du latex était une épouvantable épreuve.
La Commission Fédérale suisse sur les problèmes liés au sida reconnaît elle-même que «d'un point de vue strictement scientifique, les éléments médicaux et biologiques disponibles à l'heure actuelle ne prouvent pas qu'[une charge virale indétectable] empêche toute infection au VIH».

La polémique va-t-elle déboucher sur autre chose que des postures de principe? Encore une fois, j'aimerai plutôt savoir comment les couples sérodiscordants vont se saisir de cette information et la mettre, ou non, en pratique. Personne ne parle des couples séropos only. Si le risque de transmission est insignifiant, peuvent-ils eux aussi renoncer à la capote? Et comment les séropositifs sous traitement efficaces mais qui ne vivent pas en couple vont-ils s'approprier cette information et en quoi va-t-elle modifier leurs pratiques de prévention? Enfin, cette info ne semble pouvoir s'appliquer qu'aux hétérosexuels puisque les études ne portaient que sur des couples hétéros et on sait bien que la transmission du VIH par voie anale est bien différente. On le voit, beaucoup de questions sont soulevées par cette annonce un brin provocatrice. Plutôt que de se lancer dans des attaques à l'intérieur du (petit) monde du sida, les experts de cette maladie seraient au contraire bien avisés de reprendre modestement leur travail d'écoute et de soutien des séropositifs et de voir avec eux comment aborder cette nouvelle problématique.

Pour info:
La dépêche APM du 30 janvier
Des chercheurs suisses affirment le rôle du traitement anti-VIH
comme moyen individuel de prévention au sein des couples stables

BERNE, 30 janvier 2008 (APM) - Des experts suisses considèrent "négligeable"
le risque de transmission du VIH par les séropositifs traités de manière
efficace, prônant ainsi le traitement comme un moyen de prévention
individuel, dans un communiqué publié mercredi par l'Office fédéral de la
santé publique (OFSP).

Sous forme de recommandation officielle de la Commission fédérale pour les
problèmes liés au sida (CFS), ce document de 10 pages, destiné avant tout
aux médecins, affirme que "les personnes séropositives ne souffrant d'aucune
autre MST [maladie sexuellement transmissible] et suivant un traitement
antirétroviral efficace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle".

Alors que dès 2000, plusieurs travaux ont suggéré qu'au niveau d'une
population, la mise sous traitement diminuait la force de l'épidémie, ce
communiqué prône une mise à l'échelle individuelle de cette idée, note-t-on.

Selon les experts, il s'agit d'"atténuer les craintes des personnes
séropositives et séronégatives afin de permettre à une partie des quelques
17.000 personnes séropositives vivant en Suisse d'avoir une vie sexuelle
quasi-'normale'". Dans une version de travail dont l'APM a eu copie, c'est
le terme "la majorité", et non "une partie", qui avait initialement été
envisagé, note-t-on.

Conscients que les données actuelles ne prouvent pas qu'un traitement
efficace "empêche toute infection par le VIH", les experts estiment que les
informations sont désormais "suffisantes pour justifier ce message", le
risque étant selon eux "négligeable", "nettement inférieur à 1 pour
100.000".

Ils s'appuient pour cela sur plusieurs arguments d'ordre biologique et
épidémiologique, la plus large étude ayant porté sur 393 couples
sérodifférents suivis pendant 14 ans, parmi lesquels aucune contamination
n'a été observée parmi ceux où le partenaire VIH+ était traité, contre 8,6%
en absence de traitement.

"L'essentiel n'est pas le risque zéro, car en médecine ce n'est pas
réaliste", a considéré auprès de l'APM l'un des auteurs de l'article, le
responsable de l'unité VIH/sida des hôpitaux universitaires de Genève, le Pr
Bernard Hirschel, qui assure n'avoir relevé aucun cas dans la littérature de
transmission par des patients sous traitement antirétroviral efficace. "Et
même s'il y avait un tel cas, que pourrait-on en conclure?",
s'interroge-t-il.

Trois conditions doivent toutefois être réunies, parmi lesquelles une
observance du traitement "à la lettre" et un suivi régulier, une charge
virale indétectable depuis au moins six mois et l'absence d'autres
infections sexuellement transmissibles (IST), nombre d'entre elles ayant un
impact délétère sur la charge virale du VIH dans les sécrétions génitales.

Ces recommandations s'appliquent avant tout aux couples stables
sérodifférents, dans lesquels c'est au partenaire séronégatif de décider
s'il faut "renoncer ou non à toute autre mesure de précaution" qu'un
traitement antirétroviral efficace. Dans les autres situations, "les mesures
de protection usuelles sont à respecter en tout temps", considèrent les
chercheurs.

Selon eux, ces questions doivent être abordées par le médecin, dont le rôle
doit être d'informer ces couples de "l'absence de caractère infectieux en
cas de traitement antirétroviral efficace", et de les conseiller "en tenant
compte de l'état actuel de [leur] relation".

Quant aux personnes sous traitement efficace mais qui ne sont pas établies
dans une relation stable, les experts estiment que l'information doit
également leur être délivrée par le médecin, "ce qui peut signifier un
soulagement pour elles". Les rapports protégés restent toutefois de mise
lors des contacts sexuels anonymes et occasionnels, en prévention d'autres
IST.

"CRAINTES ET CONSERVATISMES"

La prévention devient "dès lors plus compliquée", mais elle peut être
assurée "par une bonne communication, à l'aide de faits exacts", a considéré
Bernard Hirschel auprès de l'APM.

Le fait que cette publication soit la première à prôner officiellement le
traitement comme moyen individuel de prévention s'expliquerait selon lui par
"certains conservatismes" et "des craintes légitimes". En médecine, "il y a
une crainte de dire que quelque chose n'est pas dangereux", tandis que "dire
des généralités, du genre 'on n'est jamais trop prudent', est très
politiquement correct", estime-t-il.

Outre l'aspect prévention individuelle qui prédomine dans l'article, les
chercheurs évoquent la question de l'insémination avec lavage de sperme, qui
n'a plus de raisons d'être, ou "n'est plus indiquée" selon leurs termes, en
cas de traitement efficace.

"Je pense que [l'assistance médicale à la procréation, AMP ou PMA] n'est pas
une bonne méthode", renchérit Bernard Hirschel, qui la considère comme
"compliquée, coûteuse et à risque de grossesses multiples.

L'idée du traitement antirétroviral comme outil de prévention individuelle,
que Bernard Hirschel avait déjà défendue lors d'une interview accordée fin
novembre au quotidien suisse "Le Temps", suscite des réactions très mitigées
en France, que ce soit chez les médecins ou chez les associations (cf
dépêche APM RLLAU004).

rl/fb/APM
redaction@apmnews.com
Conseil national du sida


Le communiqué de presse du Conseil national du sida

Paris, le 30 janvier 2008

Traitements antirétroviraux et transmission de l'infection à VIH

La Commission fédérale suisse pour les problèmes liés au sida (CFS), dans une communication destinée aux médecins, publiée ce jour dans le Bulletin des médecins suisses, estime pouvoir affirmer que les personnes séropositives au VIH sous traitement antirétroviral, dans certaines conditions garantes de l’efficacité du traitement, ne sont pas susceptibles de transmettre le virus par voie sexuelle.

Elle s’appuie pour cela sur les données fournies par les études épidémiologiques réalisées dans différentes populations, ou parmi des couples sérodifférents, qui montrent que l’utilisation des traitements puissants actuels réduit le risque de transmission de 60 % à 80 % dans les populations étudiées.

Ces données pourraient en effet permettre d’envisager que les traitements actuels puissent devenir un jour un outil parmi d’autres des politiques de prévention au niveau collectif et de contrôle de l’extension de l’épidémie. Progressivement accumulées depuis 2000, elles ont d’ailleurs permis aux autorités de santé des Etats-Unis d’introduire la réduction du risque de transmission parmi les objectifs des traitements antirétroviraux dans leurs dernières recommandations émises en décembre 2007. Elles devraient également être examinées par le groupe d’experts français dans le cadre de la mise à jour de ses recommandations en 2008.

Cependant, les données permettant d’extrapoler la réduction du risque d’un niveau collectif à des situations individuelles restent trop préliminaires pour permettre des recommandations individuelles. En effet, les études observationnelles réalisées sur des couples sérodifférents et bénéficiant de traitements concernent au maximum une soixantaine de couples suivis pendant des périodes limitées à moins de quatre ans. Même si aucun cas de contamination n’a été constaté sur ces observations, les échantillons sont trop faibles pour exclure un risque de manière suffisamment fiable. Il apparaît donc prématuré à ce jour d’établir sur les données existantes des recommandations individuelles, qui doivent continuer à promouvoir les méthodes de prévention éprouvées, notamment l’usage du préservatif.

Pour autant, l’hypothèse qu’un traitement efficace puisse abolir la transmission ne peut être écartée. Par conséquent, de nouvelles recherches doivent venir compléter les données existantes.

Face à la complexité des enjeux de santé publique soulevés, le Conseil national du sida a décidé de réunir une commission de travail qui s’attachera à partir des données existantes à en dégager les implications éthiques, politiques et sociales.


Le communiqué de presse d'Act Up-Paris
Paris, le 30 janvier 2008
Avis des médecins suisses sur la transmission du VIH : cherchez l'erreur


Sur la base d'une synthèse de données disponibles depuis quelques années, la Commission Fédérale pour les problèmes liés au Sida (CFS) suisse doit annoncer dans le Bulletin des médecins suisses du 30 janvier 2008 qu' « une personne suivant un traitement antirétroviral avec une virémie entièrement supprimée[1] ne transmet pas le VIH par voie sexuelle ».

Dans le cas où cette nouvelle serait confirmée, elle aurait des conséquences importantes pour les personnes séropositives et leurs partenaires sérodifférentEs ainsi que sur les politiques de prévention. Toutefois, la CFS précise que son affirmation ne remet pas en cause la stratégie de prévention appliquée en Suisse.

L'avis émis par la commission suisse concerne seulement le cadre très restrictif de couples sérodifférents, hétérosexuels stables où la personne séropositive a une observance parfaite de son traitement, une charge virale (mesure de la quantité de virus dans le sang) en dessous du seuil de détectabilité depuis au moins six mois, une absence d'Infections Sexuellement Transmissibles (IST), ce qui suppose une absence totale de relations extraconjugales.

Cette annonce qui porte sur les couples sérodifférents ne concerne donc pas les 40% de malades sous traitement ayant une charge virale résiduelle malgré une bonne observance du traitement, et les 20% de séropositifs sans traitements. Elle n'est pas non plus applicable à la situation des homosexuels et aux rapports anaux en l'absence de données sur cette question ou dans cette population.

La CFS reconnaît elle-même que « d'un point de vue strictement scientifique, les éléments médicaux et biologiques disponibles à l'heure actuelle ne prouvent pas qu'[une charge virale indétectable] empêche toute infection au VIH ».

On peut s'étonner que des médecins suisses aient choisi de faire cette annonce sans attendre les résultats d'une large étude de cohorte en cours visant à documenter la transmission sexuelle du VIH sous traitement efficace dans des pays occidentaux.

Act Up-Paris met en garde contre le danger que feraient courir les discours imprudents, triomphalistes ou désinvoltes qui donneraient une interprétation des déclarations du CFS hors du cadre précis qu'elles définissent ou qui négligeraient d'en préciser ce cadre.

Act Up-Paris exhorte les chercheurs qui travaillent sur cette question à publier des données complémentaires.

Act Up-Paris attend du groupe d'experts français qu'il rende des conclusions tranchées sur le risque de transmission des personnes sous traitement dans l'édition 2008 du rapport sur la prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH.

Publié dans Prévention-sida

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